Les autrices sont professeures respectivement au Département d’organisation et de ressources humaines de l’ESG-UQAM, à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal, au Département de psychoéducation de l’Université de Sherbrooke et au Département des fondements et pratiques en éducation de l’Université Laval
Publié le 11 août 2025
Deux personnes ayant une déficience intellectuelle en situation d’itinérance ont récemment reçu de l’attention médiatique. Leur situation a mis en lumière les lacunes flagrantes des services qui leur sont destinés et le manque criant de lieux adaptés pour héberger les personnes ayant une déficience intellectuelle ou les personnes autistes qui nécessitent du soutien au quotidien. En effet, on note une diminution de 32 % des places d’hébergement offertes par le réseau de la santé et des services sociaux depuis 2013-2014, alors que la proportion d’adultes autistes ou ayant une déficience intellectuelle habitant chez un proche a augmenté de 18 % sur la même période. De plus, les coûts associés à l’hébergement augmentent constamment, et ce, au détriment du budget accordé aux autres services, comme le soutien à l’emploi, l’accès à des loisirs adaptés ou des interventions psychologiques ou éducatives.
Alors que le nombre d’enfants et d’adultes ayant reçu un diagnostic d’autisme a fortement augmenté dans les dernières décennies et que leurs parents vieillissent et ne pourront, à terme, plus assurer leur hébergement, il devient urgent d’agir collectivement. La situation actuelle est inquiétante et risque de se détériorer si rien n’est fait, ce qui compromet la santé, la sécurité et le bien-être de ces personnes et de leurs proches.
La qualité des milieux à améliorer
Une récente étude belge portant sur l’offre québécoise d’hébergement, considère que le modèle actuel tend à reproduire ce que faisaient autrefois les grandes institutions qui, pourtant, ont été remises en question et démantelées. D’autres recherches québécoises ont aussi démontré que 59 % des participantes et participants affirmaient vivre dans un milieu où ils et elles ne souhaitent pas demeurer à long terme.
De plus, plusieurs milieux destinés aux personnes ayant des besoins d’encadrement important sont désuets et ne disposent pas des budgets nécessaires pour installer des éléments architecturaux offrant un équilibre entre la sécurité des personnes hébergées et du personnel ainsi que l’autonomie, l’autodétermination et la dignité des résidentes et des résidents.
La formation du personnel – la clé pour des milieux de vie de qualité
La formation du personnel joue un rôle essentiel, tant pour la qualité des soins offerts que pour la sécurité et le bien-être des employés. Actuellement, nos politiques publiques n’exigent aucune qualification spécifique pour les personnes qui travaillent sur le terrain dans ces milieux spécialisés, notamment dans les ressources intermédiaires d’hébergement. Pourtant, les tâches qui leur sont confiées nécessitent plusieurs connaissances et compétences très spécifiques pour agir adéquatement auprès de cette clientèle.
La formation du personnel peut contribuer à augmenter la confiance qu’ont les personnes employées en leurs capacités professionnelles. Cet effet est non négligeable, car cette confiance est associée à un taux de symptômes dépressifs moindre face aux comportements plus difficiles des résidentes et des résidents. Ce problème est d’autant plus préoccupant que 38,9 % des personnes participant à une étude rapportaient avoir subi des gestes d’agression quotidiennement ou hebdomadairement dans les 12 derniers mois selon une étude en cours dirigée par Marie-Michèle Dufour et Valérie Martin. Ces gestes ne sont généralement pas intentionnels, mais peuvent découler de l’incompréhension, de l’impulsivité ou de la souffrance des personnes hébergées.
Notre équipe de recherche a réalisé une étude pour mesurer l’effet d’une formation en ligne sur une approche d’intervention positive destinée au personnel d’un milieu résidentiel. Nous avons constaté que cette formation, peu coûteuse et flexible, a été appréciée et a entraîné une maîtrise des concepts clés, représentant ainsi une avenue pertinente à explorer.
Des parents prenant les choses en main
De l’Estrie aux Îles-de-la-Madeleine, des parents prennent en main le développement de ressources résidentielles face au manque criant de places ou d’options satisfaisantes. Ces parents rêvent et conçoivent divers modèles : coopératives de solidarité d’habitation offrant des loyers abordables, appartements supervisés, milieux destinés aux personnes autistes à grands défis et vivant un haut niveau d’anxiété, projets visant à développer les compétences à la vie autonome. Ces parents souhaitent créer un milieu de vie où leur enfant sera en sécurité et bien entouré. Des chercheuses et chercheurs les appuient notamment en développant les relations avec la communauté afin de générer des réseaux d’entraide dans le quartier ou de favoriser un accueil bienveillant et inclusif par le voisinage.
Est-ce réellement aux parents de se transformer en développeur immobilier, de créer des fondations, de réaliser des campagnes de financement, de naviguer à travers une multitude de règlements et de négocier des ententes de services professionnels ou d’accompagnement avec le réseau de la santé et des services sociaux ? En réalité, la recherche démontre que ces parents, dont le rôle de proche aidant s’étend parfois sur plusieurs décennies, ont eux-mêmes besoin de répit et d’appui et non de compenser les lacunes d’un système censé les appuyer.
Un chantier important pour le futur
Des ressources doivent rapidement être investies pour développer davantage de milieux d’hébergement ainsi que des logements qui répondent aux besoins des personnes autistes ou ayant une déficience intellectuelle. La situation actuelle est particulièrement inquiétante pour les personnes qui n’ont pas ou n’ont plus de proches pour les loger, les appuyer, défendre leurs droits ou carrément bâtir des milieux adaptés. Les ressources consenties doivent aussi s’assurer que les conditions de travail du personnel leur permettront de s’épanouir dans ce rôle essentiel.
Notre société porte la responsabilité collective d’éviter que les personnes vulnérables souffrent dans des milieux de vie inadéquats, vivent de l’instabilité résidentielle ou même se retrouvent en situation d’itinérance.
Les personnes autistes ou qui ont une déficience intellectuelle ont le droit de vivre dans un endroit qui correspond à leurs préférences et à leurs besoins, de façon autonome, autodéterminée et digne.